Perdre un proche est une des épreuves les plus douloureuses que l’on puisse vivre. Cette perte, avec toutes les émotions qu’elle peut réveiller, engendre ce que l’on appelle « le processus de deuil ». C’est un processus essentiel qui vise, non pas, à lâcher prise ou à faire oublier la personne disparue mais bien à apprendre à intégrer et à accepter cette réalité dans sa vie. C’est un travail qui demande beaucoup d’énergie et de temps.
Nous avons progressivement assisté à la quasi disparition des rituels sociaux autour de la mort et du deuil dans notre société occidentale. Tout cela a contribué à faire du deuil une affaire privée. On attend donc des endeuillés qu’ils se remettent vite, qu’ils retournent au travail et qu’ils ne se laissent pas happer par une dépression. Or, le deuil n’est pas une dépression mais bien un processus normal. Pour bien le comprendre, il faut prendre en compte deux notions : la perte et les liens. Le deuil est la perte de quelqu’un ou de quelque chose qui a existé dans notre entourage. Cette perte, définitive et irréversible, nous confronte à une multitude d’émotions et nous oblige à nous adapter. À côté de ça, ce qui est perdu, c’est aussi une part de soi-même qui existait à travers ces liens qui s’étaient tissés entre la personne décédée et soi-même.
Quand on parle de deuil, d’autres situations que celle du décès d’un proche peuvent revêtir un caractère éprouvant : un divorce ou une séparation amoureuse, une perte d’emploi, une incapacité d’avoir un enfant, etc.
Le processus du deuil s’organise selon plusieurs phases qui se succèdent et se chevauchent au passage l’une de l’autre :
- Il y a d’abord le choc qui fait suite à l’annonce de la perte, période souvent intense émotionnellement où plusieurs réactions peuvent être vécues : le déni, l’incrédulité, l’agressivité, la colère, etc. Ce sont des réactions normales (« Ce n’est pas possible », « Je n’y crois pas », « Je vis un cauchemar ») qui sont adoptées pour tenter de contenir la douleur induite par la perte. La confrontation avec la réalité peut être si brutale que les personnes endeuillées ont parfois l’impression de ne plus savoir ce qu’elles ressentent ou d’avoir peur de perdre pied. Toutes les émotions existantes peuvent se rencontrer et plonger la personne dans un tourbillon instable et changeant. « La mort d’un proche est un traumatisme, et comme toujours dans ces situations, les souvenirs liés au traumatisme sont récurrents, prégnants, souvent envahissants, jusque dans les rêves. » (Gilloots)
- Après le choc, vient une phase dite dépressive. La réalité de la perte est alors omniprésente. La personne endeuillée se voit confrontée à la symptomatologie complète de la dépression (perte de plaisir, passivité, perte d’initiative, pessimisme, sommeil perturbé, etc).
- La dernière étape du deuil est l’acceptation. Il s’agit de l’étape où les endeuillés peuvent accéder à des souvenirs d’avec le défunt sans activation d’une douleur paralysante et réinvestir pleinement de nouvelles relations. En d’autres termes, c’est s’adapter, petit à petit, à son nouvel environnement et vivre en paix avec ses souvenirs de la personne ou l’objet perdu(e).
La crise sanitaire a rendu cette épreuve encore plus difficile car elle se vit seul. La professeure Emmanuelle Zech, lors d’un passage en télé, avait insisté sur les aspects structurants et de reconnaissance induits par les rites associés au deuil. Les funérailles, toutes ces manières collectives de dire au revoir suivant habituellement des formes scénarisées permettent la mobilisation de tout un collectif pour rappeler la vie et soutenir chaque personne touchée par la perte. Or l’organisation de funérailles a été très fortement mise à mal par l’ambiance générale d’anxiété induite par le virus et les règles de distanciation sociale. La psychologue Magali Molinié souligne l’importance des rituels qui permettent de « s’appuyer les uns sur les autres, de collaborer dans un moment difficile au lieu de se replier sur ses frustrations et sa colère. » Le deuil n’est donc pas seulement une épreuve personnelle mais il est aussi un drame collectif et social.
Il est très important d’exprimer ses émotions et sentiments quand on vit un deuil. Chacun s’approprie ce travail de deuil à sa façon et à son rythme. Les émotions et sentiments éprouvés dans ces circonstances trouvent leur origine dans l’histoire de la relation que nous avons entretenue avec le défunt et dans notre relation avec la mort. Comme le dit très bien Emmanuelle Gilloots dans un article, le deuil est un long chemin avec ses propres saisons. Ses hivers, où des zones plus sombres et froides apparaissent et ses printemps, où la vie peut renaître et arborer ses couleurs.
Sources:
Compan, S. (2015). Deuil pathologique ou pathologie du deuil?. Thèse en faculté de Médecine à l’Université de Picardie Jules Vernes.
Despret, V. (2020). Interview: Le deuil au temps du coronavirus. Magazine Axelle. En ligne : https://www.axellemag.be/deuil-coronavirus-vinciane-despret/
Gilloots, E. (2001). L’accompagnement thérapeutique des personnes en deuil. Revue Gestalt. 123-135.
Keirse, M. Les étapes du deuil. En ligne : https://funebra.be/les-etapes-du-deuil/
Molinié, M. (2011). Interview pour le site accompagner la vie. En ligne http://accompagnerlavie.net/category/143/articles/602
Philippin, Y. (2006). Deuil normal, deuil pathologique et prévention en milieu clinique. Infokara. 21. 163-166. doi: https://doi.org/10.3917/inka.064.0163
Veyrié, N. (2014). La mort d’un être cher. Dialogue. 3. 73-84. doi: https://doi.org/10.3917/dia.205.0073